Jeunes Artistes en Europe. Les Métamorphoses présente 21 artistes, issus de 16 pays, s’exprimant par le biais de la peinture, de la sculpture, de la mode, du design ou du film.
Gabriel Abrantes (Portugal)
Né en 1984, vit et travaille à Lisbonne et à New York
À travers ses films, qu’il écrit, réalise et dans lesquels il joue le plus souvent, Gabriel Abrantes développe un univers aux références foisonnantes qui explore particulièrement les questions de genre et d’identité, et qui fait voler en éclats les postulats historiques et politiques traditionnels. Si nombre de ses films s’attachent à revisiter avec beaucoup d’humour les œuvres de figures majeures de la culture européenne comme Édouard Manet, William Shakespeare ou le poète portugais Luís de Camões, Gabriel Abrantes se fait aussi l’écho des crises contemporaines ou des phénomènes liés à la pop culture mondiale. Son premier long-métrage, Diamantino, met en scène un footballeur star, héros du Portugal, dont la brillance sportive se tarit le jour où il se trouve confronté à l’arrivée de migrants aux abords de son yacht. Dans A Brief History of Princess X, Gabriel Abrantes reconstitue la genèse d’une œuvre iconique du sculpteur roumain Constantin Brâncuși, Princesse X : un portrait, en forme de phallus, de la princesse Marie Bonaparte, arrière-petite-nièce de Napoléon et pionnière de la psychanalyse en France. Il mène ainsi une réflexion sur l’essence de la création artistique et sur les rapports de domination entre les sexes.
Magnus Andersen (Danemark)
Né en 1987, vit et travaille à Bruxelles
Le thème de l’éducation est au cœur du travail de Magnus Andersen qui s’intéresse aux valeurs qui nous rassemblent et sont transmises aux jeunes générations. Dans sa série L’Éducation régionale, de jeunes gens au seuil de l’âge adulte semblent plongés dans une profonde réflexion sur leur place au sein de la société et le rôle qu’ils devront bientôt y tenir. Variation autour de deux tableaux des peintres anglais Joshua Reynolds et Thomas Gainsborough, portraitistes et paysagistes de la fin du xviiie siècle, L’Éducation régionale renvoie aux théories développées un siècle plus tôt par le philosophe anglais John Locke sur le caractère inné de certaines aptitudes chez l’enfant et le rôle néanmoins primordial de l’éducation. Clin d’œil à l’actualité européenne, Magnus Andersen fait endosser le rôle de l’adulte pédagogue à Martin Selmayr, actuel secrétaire général de la Commission européenne. L’Éducation régionale propose également une création sonore présentée à l’entrée de l’exposition. Sous la forme d’un collage polyglotte, on y entend un groupe d’enfants scander des extraits de traités européens, d’accords de libre-échange et d’hymnes nationaux, faisant écho tant à l’univers des chorales et des colonies de vacances qu’à l’esprit du hooliganisme ou à l’exercice du team building.
Evgeny Antufiev (Russie)
Né en 1986, vit et travaille à Moscou
Evgeny Antufiev est originaire de la république de Touva, une république autonome de la Fédération de Russie, à l’extrême sud de la Sibérie. Ce territoire limitrophe de la Mongolie fut anciennement un carrefour de routes nomades empruntées notamment par les Scythes. Enfant, Evgeny Antufiev découvre les précieux vestiges de cette civilisation antique au musée de Kyzyl – la capitale du Touva, créée il y a tout juste un siècle – et s’en trouve durablement marqué. Par le biais de sa pratique artistique, il entretient aujourd’hui un dialogue formel avec les héritages esthétiques des civilisations et grands personnages du passé, sans distinction temporelle : pour lui, Léon Tolstoï, les rois étrusques, la ballerine Anna Pavlova, Yves Saint Laurent ou Ramsès II font partie d’une même éternité libérée de toute temporalité linéaire. Ses sculptures et travaux en bois, bronze, pierre, textile, os ou céramique reflètent son exploration de la permanence de formes primordiales à travers les âges, selon une typologie récurrente d’objets comme les couteaux, les vases ou les masques. Attiré par la solitude et la sérénité des lieux de recueillement, Evgeny Antufiev conçoit ses installations, comme celle créée spécialement pour cette exposition, d’après un plan au sol qui se réfère à la forme d’un temple ou d’un mausolée.
Charlie Billingham (Royaume-Uni)
Né en 1984, vit et travaille à Londres
L’imaginaire du peintre Charlie Billingham puise son inspiration dans les dessins, estampes et gravures réalisés durant la période de la Régence en Angleterre, à la fin du xviiie siècle. Cette période d’incertitude fut marquée par d’importantes transformations sociales en Europe. À la même époque, les excès de l’aristocratie, coupée de cette réalité, ont fait l’objet de nombreuses caricatures par des artistes comme James Gillray ou George Cruikshank. Charlie Billingham recadre, agrandit ou déforme ces images pour créer de nouvelles compositions en les faisant ainsi sortir de leur contexte politique et social d’origine. L’installation créée spécifiquement pour la Fondation Cartier intègre des toiles de l’artiste accrochées sur une peinture murale qu’il réalise à la main selon une technique d’impression au tampon et des objets décoratifs tels que les vases ou le paravent. Sous la forme d’un environnement domestique, Charlie Billingham remet ainsi en scène la vanité de ces personnages aux coiffes poudrées et aux attitudes débridées, posant un regard ironique sur ces sociétés alors essentiellement masculines et sur une certaine idée du jeu social d’hier et d’aujourd’hui.
Kasper Bosmans (Belgique)
Né en 1990, vit et travaille à Amsterdam et à Bruxelles
Récits passés et contemporains s’entremêlent dans les œuvres de Kasper Bosmans. Passionné par l’histoire et l’origine des symboles, l’artiste crée des sculptures et des installations en recueillant, par des recherches approfondies, différents fragments de mémoire culturelle – folklores, traditions, légendes, découvertes ou anecdotes – issus de l’histoire de sa Belgique natale comme des multiples endroits à travers le monde où il expose. En parallèle de ce travail en trois dimensions, il développe depuis 2013 une série intitulée les Legend Paintings [Peintures de légende], combinant dessin et peinture sur des panneaux de bois au format fixe, dont cinq triptyques sont présentés dans l’exposition. Empruntant aussi bien à l’univers d’Internet et de la presse qu’à la tradition héraldique caractérisée par le langage graphique des blasons, ces peintures forment une sorte de rébus destiné à illustrer le matériau historique rassemblé pour ses œuvres. Tel un artiste-conteur à l’ère de la post-vérité, Kasper Bosmans confronte visuellement passé et présent dans une expérience transhistorique traitant non seulement de questions liées à la migration et aux identités, mais aussi de l’écologie ou de catastrophes nucléaires.
Formafantasma (Italie)
Andrea Trimarchi et Simone Farresin
Nés en 1983 et 1980, vivent et travaillent à Amsterdam
Pour le projet Ore Streams, le duo Formafantasma (Andrea Trimarchi et Simone Farresin) s’est intéressé aux déchets électroniques en tant que ressource primordiale : à l’horizon 2080, la plupart des matières premières utilisées pour la fabrication d’objets techniques proviendront du recyclage plutôt que de l’extraction minière. Ils ont mené une véritable investigation auprès de chercheurs, d’entreprises spécialisées en électronique, de spécialistes du recyclage et d’ONG, tentant d’appliquer à l’usage de ces déchets la même rationalisation que celle appliquée par les géants du secteur à la production de leurs objets. Le résultat de cette recherche est une série de meubles de bureau à l’esthétique épurée, loin de l’image habituellement associée au recyclage. Un regard attentif permet d’y déceler des objets tels qu’une grille de micro-ondes, des boitiers de téléphones portables, ou une ligne d’or elle aussi récupérée. Formafantasma accompagne la présentation de ces meubles d’abrégés de leurs recherches, sous forme de vidéos, à l’attention du public et des industriels. Trois vidéos sont présentées dans l’exposition : Disassembling montre le démontage des composants de plusieurs objets électroniques ; Taxonomy, la classification de ces objets ; et Animation pointe, sous forme d’animation 3D, plusieurs stratégies possibles pour faciliter, à l’avenir, la récupération de ces ressources.
Benjamin Graindorge (France)
Né en 1980, vit et travaille à Paris
Diplômé de l'ENSCI – lesAteliers, il remporte consécutivement le concours Cinna et les Audi Talents Awards dans la catégorie Design. Après une résidence à la villa Kujoyama à Kyoto, il collabore à la scénographie de la Biennale du Design de Saint-Étienne (2010). Depuis 2009, il collabore avec le studio YMER&MALTA : ensemble ils s’attachent à repousser les limites des formes et des techniques, par l’alliage de matériaux et de savoir-faire traditionnels et des technologies nouvelles. En 2018, ils exposent un ensemble de pièces, fruits de ce travail commun de recherche, au Château Borély à Marseille.
Scénographe de l’exposition, Benjamin Graindorge présente également trois œuvres qui ponctuent le parcours de celle-ci. Dans un aller-retour entre abstraction et formes tangibles identifiables, le designer commence toujours par coucher sur le papier des motifsnon figuratifs et colorés. Il parle à leur proposde « dessins d’émotion ». C’est à partir de ces croquis que s’engage le dialogue avec artisans et industriels, ses réalisations faisant appel aussi bien aux technologies numériques de pointe qu’aux techniques artisanales traditionnelles comme la marqueterie, la céramique ou le travail du verre. Il allie ainsi des savoir-faire liés aux arts décoratifs du xviiie siècle à des lignes plus contemporaines, simples et débarrassées detout ornement superflu. Ces formes s’inspirent généralement de motifs et phénomènes naturels – une nature tantôt apaisée, tantôt sauvage, souvent en pleine métamorphose. On retrouve cette inspiration dans la structure végétale de la lampe edaLight, dans la lumière si particulière de la lampe asphericalSkylightsemblable à un horizon céleste, ou dans les miroirs de l’installation mirrorMirage où un délicat motif de nuages se confond avec le reflet de l’espace environnant.
Miryam Haddad (Syrie)
Née en 1991, vit et travaille à Paris
Arrivée en France en 2012 pour suivre le cursus de l’École des beaux-arts de Paris, Miryam Haddad est née et a grandi à Damas en Syrie. Si les scènes dépeintes dans ses tableaux semblent renvoyer à des contes et légendes, la représentation récurrente de personnages archétypaux comme des rois, des sorcières ou des épouvantails est en fait le fruit de l’imaginaire de l’artiste qui n’aime rien autant qu’inventer des mondes. Derrière la fantaisie apparente des images suggérée par l’usage de couleurs vives et l’exubérance de certaines postures, c’est une tonalité bien plus sombre qui pointe dans la plupart des peintures. Sur certaines toiles, des fragments de vitraux ou de céramique brisés au premier plan semblent d’ailleurs ouvrir sur une autre réalité : un grotesque tragique que soulignent les titres éloquents des tableaux. Parfois aussi les images se structurent autour de détails d’architecture ancienne, comme des arcades, des colonnades, ou des répliques de statuaire antique que l’on retrouve dans le paysage archéologique syrien, bien souvent en péril. Dans ses accrochages, l’artiste choisit d’alterner les tableaux de grande dimension et les œuvres de très petit format incitant le spectateur à changer de perspective pour mieux décrypter la structure des images qu’elle crée.
Klára Hosnedlová (République tchèque)
Née en 1990, vit et travaille à Berlin
Attentive aux pratiques artisanales et à leur histoire, Klára Hosnedlová, formée aux Beaux-Arts de Prague, abandonne très vite la peinture pour se consacrer à la pratique du tissage et de la broderie, en lien avec des questionnements formels sur l’espace domestique et la décoration. En écho aux réflexions menées au début du xxe siècle par l’architecte Adolf Loos (1870-1933), originaire comme elle de Moravie, au sud-est de la République tchèque, sur la nécessité de débarrasser l’architecture d’une ornementation excessive, elle s’attache à créer des espaces dont l’harmonie provient des qualités propres des matériaux et des tissus qu’elle associe subtilement dans ses meubles, peintures murales, vêtements et portraits brodés. Ces portraits, qu’elle imagine comme des peintures et dont elle fabrique elle-même les cadres en céramique, sont créés à partir de détails de photos saisies au cœur des installations qu’elle conçoit, animées le temps d’une prise de vue par la présence de modèles. Pour cette exposition, elle imagine un espace intérieur féminin, à la fois intime et théâtral et dont la théâtralité est accentuée par la présence de costumes issus des collections du Théâtre national de Prague.
Nika Kutateladze (Géorgie)
Né en 1989, vit et travaille à Tbilissi
À l’origine des projets de Nika Kutateladze, artiste formé à l’architecture, se trouve une réflexion sur l’espace habitable et sa capacité à rendre compte de mémoires intimes et collectives, avec pour terrain d’études privilégié son pays natal, la Géorgie. À la Fondation Cartier, proposant pour la première fois sa démarche en dehors du contexte géorgien, l’artiste choisit de confronter la mémoire d’une maison abandonnée du village d’origine de sa famille, dans la région de Gourie, à l’architecture de Jean Nouvel et aux conditions urbaines et sociales qui l’environnent. Déconstruite par l’artiste en Géorgie, la maison a ensuite voyagé par camion à travers six pays avant d’arriver boulevard Raspail à Paris. Décontextualisant et confrontant matériellement ces espaces issus de réalités distinctes, il pose notamment un regard sur les transformations en cours dans son pays, qui a connu d’importants mouvements de population depuis le début des années 1990, en raison entre autres d’un exode rural. L’édification de cette maison à la Fondation Cartier, loin de toute tentative de reconstitution à l’identique, est avant tout un geste poétique qui tend à raviver les mémoires enfouies au cœur de ce foyer : celle de ses occupants, celle d’un village, celle d’un pays.
Piotr Łakomy (Pologne)
Né en 1983, vit et travaille à Poznań
Piotr Łakomy explore dans ses œuvres la relation qu’entretient la sculpture avec le corps humain, l’architecture et l’environnement. Influencé par le rationalisme de Le Corbusieret le biomorphisme de Frederick Kiesler, il utilise des matériaux aussi bien organiques qu’industriels. Créée pour la Fondation Cartier, sa sculpture joue avec la transparence du bâtiment de Jean Nouvel pour donner l’impression de s’en extraire et d’envahir furtivement le jardin. Fixées de part et d’autre d’une des parois de verre, les deux structures métalliques qui la composent sont conçues selon les principes du Modulor, une échelle de mesures établissant une harmonie entre les proportions du corps humain et celles des éléments architecturaux mises au point par Le Corbusier. Ces structures sont drapées de panneaux d’aluminium alvéolaire – un matériau utilisé dans les industries de l’aérospatiale et de la construction – afin de suggérer une formation naturelle. La sculpture comprend des œufs d’autruche, références à la sphère à la fois en tant que forme architecturale fondamentale et refuge pour le vivant.
Lap-See Lam (Suède)
Née en 1990, vit et travaille à Stockholm
Dans son travail, Lap-See Lam examine l’ambiguïté des constructions identitaires et culturelles à travers l’histoire de la diaspora chinoise en Suède. Le film Mother’s Tongue [Langue maternelle] est une œuvre conçue à quatre mains avec sa cousine la réalisatrice Wingyee Wu, pensée à l’origine comme une application pour téléphone mobile. Les artistes ont d’abord enregistré au moyen d’un scan 3D l’intérieur de plusieurs restaurants chinois à Stockholm, alors que nombre d’entre eux sont sur le point de disparaître. Cet acte initial de préservation a ensuite été porté sur le terrain de la fiction par une narration apportée en voix off depuis un futur où l’intelligence artificielle et la robotique semblent avoir remplacé les lieux et les gens. On y entend les monologues de trois femmes dont l’histoire est liée à celle de ces restaurants, trois générations qui évoquent successivement les frictions culturelles, aussi bien familiales, sociales que technologiques, auxquelles elles sont confrontées. À partir d’histoires particulières, le film témoigne ainsi plus largement de la réalité culturelle du phénomène d’immigration et des constructions d’identité et d’altérité qui en résultent au fil du temps.
Kostas Lambridis (Grèce)
Né en 1988, vit et travaille à Athènes
Avec The Elemental Cabinet, réalisé pour son diplôme de fin d’études, Kostas Lambridisfait une entrée remarquée dans le monde du design. Réinterprétation du Badminton Cabinet, merveille de l’art décoratif florentin du xviiie siècle célèbre pour l’extrême sophistication de ses ornements et la richesse de ses matériaux, cette œuvre est aussi une référence aux Elemental Paintings de Robert Rauschenberg qui mêlent, sans hiérarchie, éléments précieux (feuilles d’or) et pauvres (terre, herbe, mouchoirs en papier). Kostas Lambridis met en jeu ces conceptions opposées de la valeur des matériaux, utilisant tous les moyens à sa disposition (impression 3D, verre soufflé, marqueterie, plastique, béton, etc.) pour copier ce qu’il considère être « un parfait exemple de vanité sublime ». Les deux autres pièces présentées ici, issues de la même série et créées pour l’exposition, poursuivent ce travail d’exploration d’archétypes mobiliers incarnant la richesse et l’élitisme de l’époque baroque. Dans cette logique de réappropriation de formes connues à l’aide de principes composites, The Elemental Daybed s’inspire de méridiennes baroques tandis que The Elemental Chandelier prend la forme d’un soleil.
Kris Lemsalu (Estonie)
Née en 1985, vit et travaille à Tallinn
Au travers d’installations sculpturales, de performances et d’autoportraits photographiques, Kris Lemsalu explore avec force et ironie les réflexions existentielles qui rythment les états de la vie – depuis la naissance jusqu’à la mort – tout comme les hiérarchies de beauté et de monstruosité, la question du genre ou les relations entre humain et non-humain. La céramique, qu’elle façonne sur l’île de Hiiumaa, à l’ouest de l’Estonie, est au cœur de sa pratique. Les êtres qu’elle figure – animaux, humains ou hybrides – apparaissent à la fois fragiles et immuables. Leurs corps sont souvent fragmentés et en situation de déplacement. Réfutant toute hiérarchisation des matériaux, la délicatesse artisanale de la porcelaine côtoie aussi bien des matières naturelles que des objets usuels ou récupérés comme en témoignent les œuvres présentées dans l’exposition : des couvertures greffées de céramique et de vêtements, une mer de ballons autour d’un bateau de pêche de la période soviétique ou des cordes figurant un couple s’enlaçant.
George Rouy (Royaume-Uni)
Né en 1994, vit et travaille à Londres
Dans ses tableaux, George Rouy peint des figures hybrides qui semblent flotter hors du temps. S’il cite l’art médiéval tardif de Jean Fouquet ou Rogier van der Weyden comme source d’inspiration fondamentale, suggérant une forme de réalité alternative et rêvée, on associe également au premier regard son travail aux artistes modernes de la première moitié du xxe siècle, par son approche des corps et des postures. Dans les scènes dépeintes par George Rouy, empreintes de sensualité et d’ambiguïté, se confondent les intentions, les gestes et les identités des figures. Les corps des personnages se mélangent. Leurs genres sont équivoques, souvent indéterminables. Leurs regards, adressés frontalement ou légèrement de biais, semblent narquois ou au contraire imprégnés d’une infinie douceur. Influencés par les outils chromatiques (ou colorimétriques) du logiciel Photoshop avec lequel il prépare ses compositions, pour rompre, dit-il, avec les automatismes du dessin manuel, ses dégradés harmonieux sont le fruit d’une application méticuleuse de couches successives de peinture à l’aide de pinceaux et de brosses très fines. Une peinture aux tons resserrés, brumeuse et douce, comme déposée à l’aérographe, dont la facture renforce le caractère évanescent.
John Skoog (Suède)
Né en 1985, vit et travaille à Copenhague
Artiste formé à la Städelschule de Francfort en Allemagne, John Skoog réalise aujourd’hui des films qu’il présente dans des espaces d’exposition ou en salle. Il prépare actuellement son premier long-métrage. Son œuvre s’intéresse aux communautés humaines et aux territoires dans lesquels elles s’inscrivent, à travers leurs expériences intimes ou collectives et leurs projections rituelles ou poétiques. Pour le court-métrage Shadowland en 2014, John Skoog part filmer l’Ouest américain sur les traces des paysages utilisés par les studios de l’âge d’or hollywoodien pour représenter des territoires lointains, comme les Alpes françaises, le désert du Soudan ou le pays de Galles. Dans le film Federsee, présenté dans l’exposition, l’artiste s’intéresse cette fois à la fête du Fasnet qui célèbre l’arrivée imminente du printemps en chassant les démons de l’hiver. Tourné dans le land du Bade-Wurtemberg au sud de l’Allemagne, le film suit les habitantsde la ville de Bad Buchau, habillés de parures d’inspiration animale ou végétale et saisis au cœur du carnaval. Bien que construit à partir d’un matériau documentaire, le film est avant tout une reconstitution poétique de la célébration du Fasnet, persistance contemporaine de rituels médiévaux, encore présente sous diverses formes dans de nombreuses régions d’Europe.
Tenant of Culture (Pays-Bas)
Née en 1990, vit et travaille à Londres
Hendrickje Schimmel a nommé sa pratique artistique Tenant of Culture [Locataire
de la culture], concept emprunté à L’Invention du quotidien (1980) de Michel de Certeau et qui fait référence à son statut de post-productrice culturelle plutôt que de créatrice d’œuvres autonomes. Reproduisant l’atmosphère de boutiques de vêtements, son travail explore l’impact des tendances, des magazines de mode et des réseaux sociaux sur la façon dont nous nous habillons, et ce que celle-ci dit de notre société. Préoccupée par la surproduction et le gaspillage, elle donne une nouvelle vie
à des vêtements qu’elle trouve dans la rue
et dans des friperies. Elle choisit des vêtements usés ou délavés, comportant souvent des éléments considérés comme inesthétiques
et repoussants à cause de traces de boue
ou de saleté. Elle combine une multitude
de pièces et utilise la technique du patchwork pour créer des vêtements hybrides exprimant des tendances qu’elle appelle « Survivalismeornemental » et « Nostalgie pastorale », révélant ainsi les enjeux marketing qui sous-tendent l’industrie de la mode.
Alexandros Vasmoulakis (Grèce)
Né en 1980, vit et travaille à Athènes
Alexandros Vasmoulakis emploie différentes techniques pour créer des fresques dans l’espace urbain, des peintures, des collages ou encore des installations sculpturales à partir d’objets trouvés. Pour son projet à la Fondation Cartier, il conçoit un collage grand format avec du papier peint qu’il réalise lui-même et sur lequel il accroche plusieurs de ses tableaux. L’artiste commence par dessiner un projet sur ordinateur avant de peindre sur le papier. L’improvisation joue un rôle essentiel dans son processus artistique : il coupe, colle et superpose le papier peint in situ, de sorte que l’œuvre finale diffère considérablement des rendus initiaux. Son collage, ingénieusement orchestré, associe des formes libres à l’apparence organique, des motifs triangulaires, ainsi que des larges bandes de couleurs vives ponctuées de taches blanches dues à l’arrachement du papier et donnant l’impression d’un mur vieilli et érodé. Élaborant son œuvre de façon à susciter un phénomène de paréidolie, il encourage le spectateur à trouver des formes reconnaissables dans une composition purement abstraite.
Marion Verboom (France)
Née en 1983, vit et travaille à Paris
Telle une archéologue, la sculptrice Marion Verboom envisage sa démarche comme une exploration poétique de l’évolution des formes à travers l’étude de la géologie et l’histoire de la sculpture et de l’architecture. L’artiste construit ainsi des analogies subtiles entre formes naturelles et créations humaines. Pour la série des Achronies, dont plusieurs ont été réalisées pour l’exposition, Marion Verboom crée des moulages inspirés de fragments d’ornements architecturaux comme les mégalithes préhistoriques, les pyramides égyptiennes, les cathédrales gothiques ou les temples incas. Elle en réalise des tirages, associant méticuleusement les matières – résines, laiton, bronze, plâtre, ciment – et les couleurs dont les pigments sont incorporés dans la masse. L’agencement de ces formes en colonne constitue un vocabulaire au moyen duquel l’artiste propose une nouvelle histoire cosmopolite qui rompt avec les géographies et les chronologies traditionnellement linéaires. Marion Verboom présente par ailleurs deux autres œuvres architecturales à l’aspect organique : une fresque, conçue in situ, dont l’épiderme polychrome accueille une œuvre de Tenant of Culture ; et Cornucopia, à l’étage inférieur, qui immortalise la forme de fruits et légumes, préalablement moulés, dans une gangue de résine et de poudre de fonte.
Jonathan Vinel (France)
Né en 1988, vit et travaille à Paris
Cinéaste originaire du Sud-Ouest de la France, Jonathan Vinel est l’auteur de nombreux courts-métrages de fiction, réalisés avec Caroline Poggi. Leur premier long-métrage, Jessica Forever (2019), met en scène un groupe de garçons orphelins et criminels – dont on devine difficilement quels sont les liens
ou les idéologies qui les unissent –, recueillis par Jessica, personnage inspiré de Quiet dans
le jeu vidéo Metal Gear Solid V. La question
de la communauté y est centrale, comme
dans leurs précédents films. En parallèle
de ce travail en duo, Jonathan Vinel a réalisé plusieurs courts-métrages, dont certains à partir d’images issues d’univers virtuels. Dans son œuvre, fortement influencé par sa pratique
des jeux vidéo, toute image se vaut et doit être jugée en fonction des émotions qu’elle procure. Le film Martin pleure, présenté dans l’exposition, est conçu à partir de séquences réalisées
au sein du jeu vidéo Grand Theft Auto V. Jonathan Vinel y raconte l’histoire de Martin, un jeune homme esseulé dont tous les amis
ont subitement disparu. Oscillant entre rage juvénile et romantisme exacerbé, Martin part désespérément à leur recherche dans les recoins de la ville et dérive peu à peu vers la folie.
Raphaela Vogel (Allemagne)
Née en 1988, vit et travaille à Berlin
Raphaela Vogel crée des installations mêlant sculpture, son, vidéo et objets trouvés, dans lesquelles elle se met souvent en scène. S’inspirant de champs de réflexion variés – théories féministes, études animales, mythologie, symbolisme –, ses installations tirent leur sens de multiples jeux d’associations. Elle présente ici plusieurs peaux d’animaux constituées de morceaux de cuir assemblés puis peints et ornés de traits vifs, ainsi que la sculpture In festen Händen III. Cette dernière, moulée d’après deux lions en bronze réalisés par un artiste allemand du xixe siècle, tire son titre d’une expression allemande signifiant « être dans une relation amoureuse ». L’artiste y voit une métaphore de nos désirs contradictoires de liberté et de sécurité. Symboles de pouvoir et de puissance, les lions sont pourtant réduits à des contours squelettiques, comme les serpents qu’ils semblent combattre. En s’approchant, on entend l’artiste interpréter Hurra, wir leben noch [Nous sommes toujours en vie], une chanson tirée du film Die wilden Fünfziger [Sauvages années cinquante] retraçant l’histoire d’un homme faisant fortune avant de tout perdre au lendemain de la guerre. Cette œuvre explore les dynamiques opposées de la force et de la fragilité, de la dépendance et de l’indépendance, du courage et du désespoir.
Photos : © Édouard Caupeil, 2019.
Sauf Kris Lemsalu et Raphaela Vogel, photo : © Rebekka Deubner, 2019.