Lauréate du prix W. Eugene Smith en 1987 puis du prix Hasselblad en 2008 – la plus haute distinction photographique – Graciela Iturbide est une figure majeure de la photographie latino-américaine. Depuis plus de 50 ans, elle crée des images qui oscillent entre approche documentaire et regard poétique : « J’ai cherché la surprise dans l’ordinaire, un ordinaire que j’aurais pu trouver n’importe où ailleurs dans le monde ». Si elle est aujourd’hui célèbre pour ses portraits d’Indiens Seris du désert de Sonora ou ceux des femmes de Juchitán ainsi que pour ses essais photographiques sur les communautés et traditions ancestrales du Mexique, Graciela Iturbide porte également depuis toujours une attention quasi spirituelle aux paysages et aux objets. L’exposition présente pour la première fois ces deux versants de l’œuvre de l’artiste et en offre ainsi une vision renouvelée.
La photographie est un rituel pour moi. Partir avec mon appareil, observer, saisir la partie la plus mythique de l’homme, puis pénétrer dans l’obscurité, développer, choisir le symbolique.Graciela Iturbide
Galerie d’images
Graciela Iturbide s’initie à la photographie dans les années 1970 au côté de Manuel Àlvarez Bravo (1902-2002) qu’elle suit dans ses voyages, dans les villages et les fêtes populaires mexicaines où elle le voit chercher le bon endroit, attendre que quelque chose se produise puis photographier, presque invisible, sans déranger, ce qui l’intéresse. Il devient le mentor de la jeune photographe et partage avec elle sa sensibilité et son approche humaniste du monde. L’exposition présente un grand nombre de photographies des personnes qu’elle rencontre ou des objets qui la surprennent et l’enthousiasment lors de ses différentes pérégrinations au Mexique mais aussi en Allemagne, en Espagne, en Équateur, au Japon, aux États-Unis, en Inde, à Madagascar, en Argentine, au Pérou, au Panama – entre les années 1970 et les années 1990. Parmi les séries emblématiques de cette période figurent Los que viven en la arena [ceux qui habitent dans le sable] (1978) pour laquelle Graciela Iturbide a longtemps séjourné au sein de la communauté Seri, dans le désert de Sonora, au nord-ouest du pays ; Juchitán de las mujeres (1979-1989), étude consacrée aux femmes et à la culture zapotèques, dans la vallée d’Oaxaca, au sud-est du Mexique, ou encore la série White Fence Gang (1986-1989) réalisée auprès des cholos, des gangs d’origine mexicaine à Los Angeles et à Tijuana.
Au réalisme magique auquel on l’a souvent associée, Graciela Iturbide préfère l’idée d’une « dose de poésie et d’imagination » qui pousse plus loin l’interprétation documentaire et trouve dans les voyages à travers le monde l’opportunité de connaître et de s’étonner : « la connaissance est double : lorsque vous voyagez, vous découvrez des choses à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de vous-même, à travers votre solitude. »
En ce moment, c’est le travail sur les éléments qui m’attire. Plutôt qu’une dérive vers l’abstraction, on pourrait peut-être parler d’une plus grande concentration de symboles […] [Pour l’Inde] je me suis lancé le défi de ne montrer aucun visage, mais uniquement des symboles qui condensent des traditions culturelles ou simplement des situations humaines.Graciela Iturbide
Outre les photographies qui ont fait la notoriété de l’artiste, l’exposition Heliotropo 37 révèle son travail photographique récent, rarement présenté jusqu’ici. Au fil des années, ses prises de vues se vident de toute présence humaine et son attention se porte vers les matières et les textures, révélant le lien métaphysique qui unit l’artiste aux objets, à la nature et aux animaux. Naturata, réalisée entre 1996 et 2004 au jardin botanique d’Oaxaca, initie cette disparition progressive : plantes et cactus, retenus par des cordes, enveloppés dans des sacs en toile de jute, s’estompent sous les voiles et les filets.
À la fin des années 1990, Graciela Iturbide sillonne la Louisiane et contemple les paysages désolés du sud des États-Unis. Dans les années 2000 et 2010, c’est en Inde et en Italie qu’elle poursuit sa quête d’objets et de symboles. Elle photographie les enseignes publicitaires, les amoncellements de chaussures ou de couteaux aux devantures des boutiques, les antennes relais ondulant sous le vent, les maisons abandonnées envahies par la végétation.
Une série de photographies en couleur inédite
En 2021, à l’initiative de la Fondation Cartier, Graciela Iturbide se rend à Tecali, un village près de Puebla (Mexique) où l’on extrait et taille l’albâtre et l’onyx. Fait rare dans sa carrière, elle abandonne alors le noir et blanc pour y photographier en couleur les pierres rosées ou blanches en cours de polissage. Les blocs d’albâtre sur lesquels sont parfois visibles des écritures ou des gravures se détachent sur le ciel cristallin tels des totems.
Heliotropo 37
L’exposition Heliotropo 37 emprunte son titre à la rue où se situe le studio de Graciela Iturbide, dans le quartier de Coyoacán à Mexico. L’édifice en brique a été conçu en 2016 par son fils, l’architecte Mauricio Rocha, à la demande de la photographe. Elle souhaitait une tour faite de briques protégée des regards extérieurs et dans laquelle il serait possible de se recueillir et de travailler.
Une série de photographies réalisée par l’artiste Pablo López Luz documente, dans l’exposition, ce lieu singulier de vie et de travail où les négatifs historiques de Graciela Iturbide côtoient des œuvres d’art populaire mexicains, des plantes et des cactus, ainsi que de grandes bibliothèques dont les rayons accueillent les livres des photographes qui l’ont inspirée. Mauricio Rocha crée aujourd’hui, en collaboration avec Graciela Iturbide, la scénographie de cette grande exposition-portrait. Spectaculaire, radical mais non sans retenue, son projet joue sur la matérialité des éléments utilisés et les percées de lumière naturelle. Tel un temple héritier du modernisme et de la tradition architecturale mexicaine, cette scénographie crée ainsi une atmosphère propice à la contemplation offrant un miroir aux compositions de Graciela Iturbide et un écrin à ses photographies.
Commissaire général : Alexis Fabry
Commissaire associée : Marie Perennès