C’est le Living room, installation en 3D que David Lynch crée à partir d’un petit dessin pour son exposition The Air is on Fire en 2007 à la Fondation Cartier, qui donne à Guillermo Kuitca l’idée de ce projet. Pour ce dernier, dont l’œuvre est nourrie de références à l’espace théâtral, l’exposition The Air is on Fire aura été une expérience sensible déterminante. Dans l’installation de Guillermo Kuitca, on redécouvre l’enregistrement sonore du concert de David Lynch et Patti Smith donné à la Fondation Cartier le 28 octobre 2011 dans le cadre de l’exposition Mathématiques, un dépaysement soudain. Alliance singulière de musique et de poésie qui réunissait pour la première fois sur scène ces deux artistes, cet événement incarne pour Guillermo Kuitca l’idée de réinterprétation qui sous-tend l’ensemble de son projet. Patti Smith revisite l’histoire écrite par David Lynch d’une antilope qui traverse la ville et observe les hommes. Un long poème troublant qui s’entend en écho au film d’Artavazd Pelechian, Les Habitants, également diffusé dans l’exposition. Véritable hymne à la nature sauvage, ce film met en scène des animaux lancés dans la fuite effrénée d’une menace invisible. Peints dans des nuances infinies de noir, de blanc et de gris, les ciels étoilés de la peintre américaine Vija Celmins dialoguent avec les toiles de David Lynch et de Francis Bacon, saturées par la couleur et la présence du corps humain. Francis Bacon, référence incontournable chez David Lynch, agit ici pour Guillermo Kuitca comme un pivot entre les différents artistes réunis, déclencheur d’une réaction en chaîne entre les multiples forces en présence.
Le chef d’œuvre de l’artiste brésilienne Tarsila do Amaral, Urutu (1928), en dialogue évident avec ces œuvres picturales, résonne aussi de manière inattendue et puissante avec le film d’Artavazd Pelechian. La présentation exceptionnelle de ce tableau, véritable icône du mouvement anthropophage brésilien qui a marqué le lancement de la révolution moderniste au Brésil, rend hommage à une artiste majeure de la modernité artistique latino-américaine. D’une certaine manière, les nombreux artistes latino-américains accueillis à la Fondation Cartier, comme Beatriz Milhazes et Adriana Varejão, portent tous à des degrés divers l’empreinte de cette figure marquante.
Toute l’installation de Guillermo Kuitca agit sur les sensations et les effets de perspectives, de résonances et de contrastes entre les œuvres : elle trouve un écho éclatant dans son propre travail, caractérisé par des références à la cartographie, aux intersections entre les lieux et les choses, aux territoires physiques, mentaux et émotionnels, et dans lequel la figure humaine brille par son absence. C’est bien cette idée de dialogue et de liens multiples entre les œuvres et les artistes qui anime toute l’exposition Les Habitants, résonnant d’une manière particulièrement originale avec l’histoire de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, faite de dialogues et de métissages inattendus entre des idées, des artistes et des œuvres.